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Un regard sur la route
28 décembre 2012

Un Conte de Noël ( 2/2 ) L'an 0. Ouassim ouvrit

 

Un Conte de Noël ( 2/2 )

 

 L'an 0.

 

 

Ouassim ouvrit une écoutille.

 

Il sentit le froid passer sur son crâne.

 

Sa tête s'était encastrée dans la vitre et un liquide chaud dégoulinait de son crâne. Une main lui passa sur la nuque, puis sur la joue. Une main douce.

 

Ouasssim... Ouassim...

Ouai ?

Oh mon dieu, tu es vivant. Il faut que je sorte.

Tu n'as rien ?

Non.

Le bébé est là ?

Ouai. Il fait du vélo dehors, bêta... Il est là, t'inquiète pas, il veut juste sortir de mon ventre...

 

Ouassim se releva, tourna sur lui-même et prit le visage de Miriam dans ses mains.

 

J'ai une sacré gueule de bois, excuse-moi.

Tu saignes.

On s'en fout. Le bébé d'abord. Je vais te porter. On va y arriver. On va faire ça là, au pire...

Tu es sûr que ça...

Attends.

 

Deux lueurs apparurent à travers la vitre embuée. Ouassim s'arracha aussitôt de sa ceinture et sortit sur la route, une main sur le crâne, une autre en l'air. Un petit point s'agrandit et se transforma en voiture. Une vraie. Elle ralentit doucement à proximité de l'accident. La vitre du chauffeur s'abaissa. Un homme, la cinquantaine, les yeux fatigués, regarda Ouassim. Ouassim le regarda. Et sourit. Il tenta de s'exprimer, malgré sa méconnaissance de la langue du pays, mais les mots lui couraient tout autour sans qu'aucun ne veuille rentrer dans le train de sa phrase. L'homme fronça les sourcils.

 

Z'aviez qu'à rester dans votre pays...

 

Il ferma la vitre et s'enfuit.

 

Ouassim regarda la voiture s'en aller, abattu. Il avait pourtant prononcer le mot « soleil » mais ça n'avait pas marché. Aucune lueur n'était apparu dans les yeux du chauffeur.

 

Merde.

 

Il jeta un regard circulaire. Les flocons de neige tombaient lentement, dans le silence total.

 

Il vit quelque chose au loin.

 

 ***

 

Miriam, y a de la lumière dans le pré. C'est peut-être un abri ou une maison...

Tu crois ?

Bin, si tu restes ici, on va être coincé, et j'aimerais mieux que nous sortions de cette voiture.

OK...

 

Elle hurla. Le cri s'envola et se répercuta sur plusieurs kilomètres.

 

Prenant son courage à deux mains, Ouassim l’arracha de la voiture, la porta au-dessus du fossé et la poussa par au-dessus le monticule.

 

Bras dessus-bras dessous, une veste au-dessus de leurs têtes, ils avancèrent dans la nuit sur la plaine noire, grelottant comme des mendiants. Ils suivirent le point lumineux, le seul à des kilomètres à la ronde, trou jaune et chaud dans l'obscurité. De petites créatures blanches tombaient du ciel et se posaient sur leur nez comme de la glace à l'eau. Ouassim en lécha une et sourit. C'était la première fois qu'il voyait de la neige.

 

Se détachant du voile de flocons et de brume, un hangar grisâtre apparut au milieu du pré, une ampoule vierge accrochée au-dessus de sa porte. Les deux ombres firent quelques pas, déplacèrent la grande porte coulissante d'un coup de pied et se glissèrent sous la carcasse métallique. Une odeur de foin, de lait et de bouse fraîche leur sauta aux nez. Ouassim alluma un interrupteur. Des néons bourdonnants s'allumèrent. Une allée centra s'enfonça devant eux, avec des mangeoires et des litières sur les côtés. Des toiles d'araignées s'étalaient au toit. Et dans un coin douillet, un bœuf, les jambes repliées sur de la paille, somnolait. Il avait de grosses cornes, un mufle impressionnant et soufflait une haleine chaude qui traînait dans l'air.

 

Miriam et Ouassem s'arrêtèrent.

 

C'est quoi ça ?

C'est rien qu'une vache...

C'est pas une vache. C'est un taureau.

Mais non.

 

Ils ne bougèrent pas.

 

Légèrement surpris.

 

Ne faisons pas de gestes brusques et...

Gnnnniiiii....

 

Miriam s'effondra. Ouassem arrêta de réfléchir. Il disposa sa veste par terre et allongea sa femme dessus. Il ferma la porte et jeta un coup d'oeil au bœuf. L'animal se préoccupait autant des deux êtres humains que de l'explosion d'une étoile à 14 milliards d'années lumière de là. Miriam souleva sa jupe. Ouassim lui installa un oreiller.

 

Bon. Comment ça va ?

ARRRRRGHHHHH

Bon. Très bien.

GNNNNNNIIIII...

Alors. Quand tu as des contractions...

IIIIIIIIIII...

Il faut pousser...

PFFFFFFFFFFF....

Et quand ça s'arrête, faut souffler...

OUI ! JE SAAAAAIS !

Bon. Alors tout vas bien. Tout... Va... Bien...

 

De la vapeur s'échappait du corps de la femme, de son sexe, de son visage et de son dos. Une odeur salé s'enroulait dans l'air. Ouassem enleva son pull et s'en servit pour bien caler Miriam, dont les seins rebondissaient avec l'effort. Il l'observa, suer et crier, tout en réfléchissant à une manière d'améliorer sa situation.

 

Peut-être que vous ne me croirez pas, mais une idée bizarre lui percuta soudain les neurones. Une fulgurance. Un éclair. Sans crier gare, une grimpée d'hormones prit d'assaut son esprit et le téléguida. Il se déplaça sur le côté, susurra un mot à Miriam, qui l'insulta en retour, puis il approcha ses doigts de son sexe et la caressa tout doucement.

 

Miriam se contorsionna. Ouassem attendit, puis il appuya doucement entre les deux lèvres, sur le bourgeon rose, le plus délicatement possible. Elle ouvrit soudain des yeux de grenouille obèse :

 

KESTUFOU ?

Ne t'occupes pas de moi... Pousse.

MAISQUEJEGNNNNNNNNNIIII...

 

Miriam ferma les yeux et serra les poings, luttant pour l'apparition de la vie, comme une boxeuse, et poussant le bébé hors de son tonneau. Ouassem se pencha et prit par ce réflexe étrange, lui lécha les lèvres supérieurs au goût marin si particulier. Miriam eut un soubresaut.

 

OUI !

Ça va.

NON ! MAIS CONTINUE !

D'accord.

 

Ouassem ne savait pas d'où venait cette idée, ni à quoi elle pouvait servir, mais la seule chose qu'il pressentait, c'est que cela ne pouvait pas lui faire de mal.

 

Le bœuf jeta un œil maussade sur les deux humains et reprit sa mastication.

 

Ouassem lui caressa les seins, tout en jouant avec le bout de sa langue sur le sexe. Miriam ne savait plus où elle se situait : en haut, en bas, parmi les vapeurs chaudes ou plongée dans les frissons sismiques et délicieux. Ouassim prit la main de sa femme, qu'elle serra de toutes ses forces, et il continua de lécher, sentant le volcan prêt à jaillir et le bébé prêt démarrer sa vie de nouveau terrien.

 

Miriam sentit une vague se lever, se projeter sur elle et la percuter de plein fouet. Une vrai explosion solaire. Une décharge électrique. Un rugissement d'orchestre symphonique.

 

La déflagration fut si puissante qu'elle cru perdre connaissance et, pendant un instant, elle crut qu'elle ne pourrait plus jamais redescendre sur Terre et qu'elle resterait éternellement dans cet état de voltance, de pulsion volcanique.

 

Ses neurones pétillèrent, ses yeux projetèrent de la lumière pure et dans un cri d'orgasme absolu, elle donna naissance.

 

Ouassim eut juste le temps d'ouvrir les bras et d'accueillir l'enfant.

 

Ses petits poumons s'ouvrirent comme des voiles de bateaux.

 

Le vent s'engouffra dans son nez.

 

Et il hurla.

 

Ouassim posa l'enfant sur le ventre de sa mère. Miriam le prit et le serra contre elle en pleurant. Elle ferma les yeux et laissa retomber sa tête en arrière. Ils respirèrent tout les trois. Le bœuf se leva d'un coup. Et s'approcha du trio. Il les regarda, tout les trois, mollement, puis il fixa l'enfant et lui lécha le crâne. Comme pour lui dire «  Bienvenue ». A sa manière. Ouassem lui fit du vent avec ses doigts et le bœuf recula et alla manger un peu de foin. Ouassem emmitoufla l'enfant dans son écharpe et son pull. Il caressa le visage de sa femme.

 

Ça va ?

Ouuuuuuiiii...

Parfait, alors.

 

Ils se réunirent et formèrent un noyau triangulaire, un foyer de chaleur au milieu du plastique et de la taule. L'odeur du liquide amniotique se mélangeait avec celle de l'herbe coupée, les fragrance moulues et concassées des graines, l'émanation des prés chauds de l'été, la matière fécale tiède, le bourdonnement de quelques mouches et le jus blanc du lait frais.

 

Ils attendirent plusieurs minutes, le temps que Miriam reprenne ses esprit et, lentement, redescende sur Terre.

 

Ouassem se leva et sortit un petit couteau.

 

Il se mit dans un coin et urina dessus.

 

Il revint, s'agenouilla et coupa le cordon ombilical de l'enfant.

 

Il nettoya le sexe de sa femme avec sa veste.

 

J'aimerais bien une clope...

Pardon ?

J'ai attendu 9 mois sans fumer, maintenant j'en aimerais bien une...

 

Il se mit en tailleur à côté d'elle et sortit son attirail. Il prit une pincée de tabac gras, le plaça dans la feuille et roula le tout d'un lèchement de lèvres professionnel... Il l'alluma, lui fit un clin d'oeil, cracha un nuage et lui donna. Il s'empara alors de l'enfant et le tint près de son cœur, petite créature respirant depuis 2 minutes dans ce trou paumé. Ouassim regarda par la fenêtre. Les flocons s'affalaient de tout là-haut pour s'écraser ici bas.

 

Hmm...

 

Miriam cracha une longue colonne et soupira.

 

Elle s'épongea le front, s'emmitoufla dans sa veste et se rabattit de côté, les genoux remontés :

 

Je crois que j'ai fait l'amour avec Dieu. J'ai sentit son doigt géant rentrer en moi...

 

Un silence.

 

Cet enfant est le fils de Dieu.

 

Ouassim se retourna et la regarda.

 

Et mon cul, c'est du poulet ?

 

Elle sourit.

 

***

 

C'était un couple paumé.

 

Et lumineux.

 

C'était une étable pourrie.

 

Au milieu de rien.

 

Les nuages dérivaient lentement dans la nuit.

 

Au-dessus des prés blancs diamantins.

 

De petites loupiotes argentées s'allumaient dans le ciel.

 

On appelle ça des étoiles.

 

Et nous, la planète, la Terre, les 7 milliards de respirations humaines, les millions de sourires, les rivières de larmes, les 12 200 révélations mystiques, les 30 000 désillusions de jeunes athées, l'immolation d'un tibétain, les 10 069 orgasmes féminins, les 6 000 éjaculations, les 300 personnes tuées par balles et les 1 million de nouveau-nés.

 

Des enfant de putains, des enfants tout court, des femmes et des hommes, tous des fils de dieu.

 

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