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Un regard sur la route
27 décembre 2012

Un Conte de Noël ( 1/2 ) L'an 0. Ils avaient une

Un Conte de Noël ( 1/2 )

 

L'an 0.

 

Ils avaient une vieille télévision, posée sur un carton qui avait autrefois emballé un micro-onde. Son antenne, rafistolée au chatterton, pendouillait contre le mur et ne captait que les six chaînes nationales, avec une ou deux chaînes étrangères parfois, par temps clair. Il n'y avait pas la chaîne de leur pays parce qu'ils n'avaient plus de pays.

C'était un vieux grenier qu'ils avaient aménagé et qu'ils squattaient depuis plus d'un mois, avec des chats et des souris. Ils ne savaient pas comment s'appelait le village où ils avaient élu domicile. Ils n'avaient pas de papier. Ou juste des feuilles volantes. Des dessins. Mais pas de visa ou de permis de séjour. Les seuls mots qu'ils avaient appris dans la langue du pays était «bonjour », « faim » et « soleil ». Prononcer le mot soleil dans une autre langue avait peut-être le pouvoir de faire émerger un rayon pétillant sur l'horizon noir. C'était ce qu'ils s'étaient dit.

Quand Miriam l'appela pour la première fois, Ouassim regardait un match de foot. Il oublia de lui répondre parce qu'un attaquant venait de faire un passement de jambes diabolique et qu'il s'avançait dans la zone du réparation. Quand elle hurla une seconde fois, Ouassim hurla en même temps qu'elle, parce que l'attaquant avait débordé, entamé un dribble divin et tiré un boulet de canon, digne de Roberto Carlos à ses heures de gloire. Quand elle hurla une troisième fois, Ouassim daigna se lever et vint voir ce qu'elle fabriquait tout en ronchonnant. Il souleva la bâche qui faisait office de frontière entre le tout-les-jours et l'intime, et quand il la vit, agenouillée sur le plancher, une main gluante entre les jambes, il cru que son cœur allait bondir hors de sa cage thoracique et sortir de lui par la bouche.

 

C'est le bébé ?

A ton avis !

 

Il la releva du mieux qu'il put, la traîna vers la porte d'entrée et l'adossa contre le mur de pierre. Il l'a recouvrit d'une veste et l'embrassa sur la joue.

 

Bouge pas.

 

Il sauta sur les clefs de la voiture, choppa sa veste, son écharpe, et revint vers elle.

 

Peut-être qu'on pourrait demander aux voisins si on peut donner un coup de fil ?

Trop tard.

Tu es sûr ?

OUI !

 

Miriam et Ouassim n'avaient jamais eu de téléphone fixe. Le vieux portable qu'ils avaient, nécessitait des cartes de recharge qu'ils ne pouvaient s'acheter. Ils étaient arrivé dans le pays, il y a bientôt 6 mois. Avec le strict nécessaire dans les poches. Un peu d'argent. De vieilles photographies. Des habits. Et une valise remplie de souvenirs et d'histoires, reliques cachées dans leurs crânes, qu'ils ressortaient parfois de derrière les fagots et les piles de souvenirs, et qu'ils se racontaient avant de se coucher. Des princes et des princesses. Des déserts. Des scorpions. Des sorciers. Des animaux qui parlent et des morales. Il y avait aussi dans cette valise des recettes de cuisines. Des chants. Des envies de consommation occidentales aussi, comme les hamburgers, le foot à la télé, et les cheveux des femmes blondes et minces dans les magazines de luxe.

Ouassim ouvrit la porte dans le noir crasseux de la nuit, prit sa femme au-dessus de son épaule et descendit les escaliers de fer qui reliait le grenier à la cour. La femme s'arrêta, fronça des sourcils et plongea soudain ses dents dans la main de Ouassim.

 

WOUAÏÏÏÏÏ !!!

Excuse moi, excuse-moi...

Mais qu'est-ce qui te prends ? T'es folle ou quoi ?

J'en avais besoin. Avance s'il te plaît...

Pardon ?

AVANCE !

Préviens moi la prochaine fois, je mordrais dans ta main pour supporter la douleur.

Tais-toi.

 

Il la souleva et l'amena jusqu'à la voiture.

 

C'était une Fiat Panda verte qui donnait du fil à retordre à la définition de voiture. Elle était garée dans un coin de la cour et les attendait, en équilibre sur quatre roues. Ouassim ouvrit une portière, faillit l'arracher et aida Miriam à s'asseoir. Il l'allongea sur la plage arrière et ferma la porte. Il fit le tour de la voiture, sauta sur son siège, prit le volant et, d'un coup de clé, démarra le moyen de locomotion qui se tenait sous ses fesses. Il alluma les phares, regarda le rétroviseur et recula tout en faisant déraper les pneus dans la boue. Miriam hurla.

 

DOUCEMENT !

Bien reçu.

 

Il la regarda dans le rétroviseur. Elle mit sa ceinture et s'accrocha aux sièges. Il lui sourit.

 

On va y arriver.

Grouille-toi.

 

Ouassim sortit de la cour, s'arrêta, embraya et appuya de toutes ses forces sur l’accélérateur, tel Roberto Carlos à ses heures de gloire.

Son cœur tambourinait un rythme étrange qu'il ne connaissait pas et qui lui faisait peur. Ce qui le préoccupait, ce n'était pas le chemin à parcourir ou l'enfant, mais c'était la bruine, la buée et les phares de poisson-chat ridicule que son moyen de locomotion instable projetait sur le bitume.

Des lumières curieuses s'allumèrent dans les maisonnettes aux alentours.

 

Une chouette hulula.

 

Et la voiture disparut dans le néant.

 

***

 

Miriam sentait son enfant toquer à la porte de son utérus tel un pirate enfermé dans un tonneau rempli de crabes. C'était son premier enfant et les contractions la tordaient de douleur. C'était pire que tout. Sa mère l'avait prévenue. Elle vit soudain son visage, et sa voix, lui expliquant que les contractions étaient le passage obligé de chaque femme, le col à franchir, que l'avenir se portait au creux du ventre et pas autrement. Miriam emmerda les traditions dans sa tête et fut à nouveau piqué par l'aiguillon de douleur.

Après dix minutes de conduites entre les lacets et les carrefours perdus, Ouassim mit la quatrième et lança la Panda dans ses retranchements physiques et techniques. Il prit un virage serré, chassa un chevreuil solitaire à coups de klaxon et fit rugir le moteur sur une longue ligne droite. Les ombres déchiquetées des arbres défilaient. La nuit était épaisse et froide. L'urgence était criante et la pluie tombait.

La ville apparut au loin, entre deux courbes de vallées encaissés, mais les prés noirs avalèrent aussitôt les lumières et la route de campagne revint. Ils allaient bientôt atteindre la quatre voies. La pluie s'épaissit. Le temps d'un battement de cœur, elle se transforma en neige.

 

Qu'est-ce que c'est que ce merdier...

 

La buée dans la voiture s'étala partout. Ouassim releva une manche et essuya la vitre. Il rapprocha son visage et plissa des yeux, à travers le maëlstrom. Il tourna un peu le volant, puis sentit soudain la Panda prendre la tangente. Il contre-braqua, freina. La voiture revint sur son centre de gravité, mais lorsqu'il freina à nouveau, il perdit définitivement le contrôle de l'auto-tamponneuse et ne put rien faire de plus. Il ferma les yeux. Contracta ses mâchoires. Comme s'il voulait freiner le disque avec ses dents. Il sentit le métal lui poncer les gencives. Miriam fut soulevé sur le coup, retenue par la ceinture, puis balancée et plaquée contre la porte.

 

La voiture s'envola.

 

Glissa dans le fossé.

 

Et s'écrasa.

 

A SUIVRE...

 

 

 

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Commentaires
L
Niark Niark Niark !!!
Répondre
L
Oui ?
Répondre
.
Maiiiiiiiiiiis !
Répondre
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