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Un regard sur la route
7 décembre 2010

Nancy - Basses-Huttes : 1 train, 4 voitures.

Nancy - Basses-Huttes :
1 train, 4 voitures.

 

Après m'être fait larguer par une borne de la SNCF qui ne voulait pas se laisser réchauffer les parois intimes par mes petits doigts, m'être trimballer dans une file d'attente où des mannequins tapaient la pose : kickers, sac à dos vert, lunettes à monture noire, ou, visage sérieux, rouge à lèvre sanguin, mèche qui pends délicieusement sur les joues, et, ou,horreur-qui-te-fait-débander-illico, la brettelle du Eastpack taguer Sliimy au T-Pex (Il existe encore ce type ?), je réussis finalement à avoir mon billet de train, et quel billet, putain!

Le troupeau humain qui attend sur les quais est aux abois. L'oreille tendue. Le regard inquiet. Les nanas regardent leurs portables. Les mecs lorgnent les nanas qui regardent leurs portables. Et moi, j'observe les mecs qui regardent les nanas qui regardent leurs portables. Super. Le train arrive. On accélère, on se rapproche, on finit sa clope en 5-2, on gère stratégiquement le compartiment dans lequel on va se fourrer, on pousse, on appelle son pote pour lui dire de rabouler ses miches, et le temps qu'on ait changé de file d'attente, on s'est déjà fait entuber par d'autre types plus rapides, et on regrette de ne pas être rester dans l'autre file, même si on se serait fait entuber de toute manière. Comme si le sort de toute l'Egypte était entre nos mains. Comme si on allait loupé le pompon de la vie.

Les portes se referment devant moi. Une dame tente de retenir les deux panneaux, à la force de ses deux bras de super wonder women. Je lui montre qu'il existe des boutons sur le côté, prévu à cette effet. Je pousse ensuite le bouchon humain un peu plus loin et je me fais une place, petit à petit. D'abord un pied, puis une valise, puis un sac, et enfin une tête. Je suis sûr que même les cornichons dans leurs bocaux sont moins serrés que nous dans cette entrée de train où je me trouve en ce moment même (128ème passager dans le 1er Vestibule à droite, entre fesses raplaplas et doudounes laides). Un peu plus, et je me croirais avant le concert d'Iggy à Stras ou dans un wagon à bestiaux en 44, avec la différence que ce voyage ne fera qu'1 heure et demi, contrairement aux Allers-Sans-Retour pour Dachau ou Auschwitz. Une putain d'heure et demi. A l'intérieur, une mère et sa fille sont coincée contre une vitre. C'est pathétique. Deux potes se demandent s'ils ne vont pas prendre le train suivant. Une dame ronchonne : " S'il ne faisait rien qu'une enquête d'opinion, je peux vous garantir qu'ils en prendraient pour leurs grades... C'est inadmissible ! ". Un des deux potes s'en va. L'autre reste. Je me dis que c'est pas possible, qu'il ne pourront jamais faire démarrer un train aussi bondé (Oh oui bondage quand tu nous tiens...), qu'on va rester plombé sur ces rails et qu'on va devoir jouer nos vies à la courte paille. Aïe, aïe, aïe (Pub pour les hémorroïdes.) Un vieux mec à lunette tente encore sa chance. Il pousse comme un buffle contre tout le monde et s'insère. Une MIDF (Mother i dislike to fuck) râle au fond. Je la comprends la pauvre. Se faire prendre par 5 personnes en même temps...

Je me retrouve finalement assis sur un porte-valise avec deux barres de fer dans le cul. Une nana s'assoit à côté de moi. Hum, la chaleur humaine. Les personnes assises sur de vrais sièges ont des airs de Princes et Princesses. Ces enfoirés se la pètent à mort en lisant tranquillement, les jambes croisées, summum de la frime. Derrière, trente personnes empaquetés en mode Tétris hardcore les regardent avec les yeux du chien attaché devant la cochonnaille habituel du maîmaître. Le train démarre comme si de rien était. C'est partit mon kiki.

J'attends. J'attends. Je pourrais répéter ça 15 fois pour que vous compreniez bien, mais je suis d'une indulgence sans bornes.

C'est lors du premier arrêt à Saint-Clémord-Moi-La Ronce, ou Hue-Azéraille !, que c'est devenu rigolo. Une porte a été condamné dans un autre compartiment. Les gens ne peuvent donc sortir que par notre porte. Un gamin au milieu de la travée se met alors à trembler : " Je dois sortir, s'il vous plaît... ". Une dame à côté de lui répondre :" Moi aussi mon bichon ". Mon bichon, c'est moi qui le rajoute. Je me hisse alors sur le porte-valise, tel une chauve-souris de Gotham, et je regarde les gens passer devant moi. Une dame me remercie. Le type à lunette dans le hall s'adresse à tout les passagers : " Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer... " C'est surement le Macgiver des Transports en Commun. Avec son Doctorat en soute maltaise, option je-ne-vous-mets-pas-la-pression-mais-je-vous-la mets-quand-même. Je suis sûr qu'il a sa bouée de sauvetage dans son petit sac, motif kawaï-zombie, avec parachute, piolet et réchauffe-zboob intégré.

Les portes s'ouvrent. Alors bon, selon ma logique perso, qui vaut ce qu'elle vaut hein, je me dis que les gens devant les portes vont sortir du wagon, laisser sortir ceux qui le doivent, puis re-rentrer avec les nouveaux arrivants. Mais non. Un couple qui attendait sur le quai - un gars avec une coupe afro et un casque rose rouge sur les oreilles, et une blonde, genre pifpafpouf (Que c'est bon d'être méchant...) - rentrent comme des boulets dans le wagon. Ils s'imaginaient sûrement que le train allait s'enfuir sans eux, leurs fermant la porte au nez et leurs découpant leurs jolies petites féfesses dans une belle infusion de sang (Comme dirait San Antonio). Car oui, c'est bien connu, les trains sont d'horribles machines qui n'attendent pas les gens dehors et qui foncent dès qu'ils peuvent. Brèves de tavardages, ça m'énerve un max, mais attendez de voir la suite.

En effesse, alors que je me tenais tel un Bruce Wayne en pleine méditation sur le bord de l'Empire State Building, une espèce de harpie m'avait dans le collimateur. Sur 45° ouest, une espèce de vieille comme je les déteste se tenait bien poliment sur son siège, avec une espèce de choucroute brune blonde sur la tête, des lunettes over-classe (A la mode en URSS à l'époque de Brejnev), un col roulé rouge, un veston noir immaculé comme jamais, et, ridicule du ridicule, un petit macaron Mémoire de France poinçonné sur le côté. Le temps qu'elle me fixe avec son regard de poisson-chat, qu'elle cligne des paupières, j'étais fixé.

Le train est reparti, allégé du poids de quelques zigotos et zigotettes. Nous avons repris nos places respectives. " Oh attention, vous me marchez sur l'oreille... Ah merci... " Je regarde les gens autour de moi. Un type lit un bouquin de Jean-Pierre Manchette. Connais pas. Je ne peux m'empêcher d'imaginer un type en train de jouer au volley-ball qui se lance vers la balle, les deux bras joints, avec Eugène Sacomano qui hurle : " La Mancheeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeettte de Jean-Patrick ! Magnifique ! ". Une autre petite dame, qui a gardé son bonnet, lit l'Assommoir. Apparemment, ça ne l'assomme pas du tout. Je laisse alors planer mes pensées au gré des long sanglots monotones de l'automne qui se fait virer à coup de crampons hivernal.

Une secousse réveille tout le monde. Le train s'arrête brusquement. En plein milieu de nulle part. Les gens lèvent les yeux. Ceux qui lisaient, arrêtent leurs lectures. Ceux qui ne faisait rien, se mettent à flipper. On regarde s'il n'y a pas de contrôleur à l'horizon pour savoir s'il n'aurait pas une idée du pourquoi du comment le train s'est brutalement arrêté. Les lumières clignotent. Une femme lâche un cri. Elle s'excuse. Le mec aux lunettes ne dit plus rien. La mère prend sa fille dans les bras. Je ne sais pas quoi faire. Je sens que quelque chose merde. Une voix sort des haut-parleurs et annonce : " Mesdames et Messieurs, en raison d'une collision avec un élément inconnu, nous sommes dans le regret de vous....." Le courant s'arrête brusquement. La voix aussi. Les lumières sont mortes. On nous largue dans la nuit totale. Nous sommes des ombres. Je vois quelqu'un qui essai d'appuyer sur le bouton d'ouverture des portes. Sans succès. Le couple s'est pris dans les bras. Je me lève sur mon repose-valise. Un type essuie une vitre pour y voir plus clair. Dehors, il fait tout aussi noir. Avec quelques vagues loupiottes au loin. Il s'approche plus près de la vitre. Une forme étrange passe soudainement le long du wagon en faisant grincer le verre. Le mec sursaute et recule aussitôt. On entend un grognement. À vous cryogéniser la colonne vertébrale. Le wagon penche. Puis tremble. Comme si la chose montait sur le train. Deux femmes hurlent. De nouveaux le silence. Toutes les têtes se tournent vers le haut. C'était peut-être un gros coup de vent. Oui, c'est sûrement ça. Une rafale de neige qui aurait soufflé un peu fort. Le bruit s'arrête. Une sonnerie de portable fait sursauter tout le monde. Certains rigolent pour se rassurer. Mais les lumières ne reviennent pas. Et soudain, quatre griffes perforent le plafond et tente d'arracher un bout du toit. Un museau immonde s'immisce à l'intérieur du wagon. Le froid et le râle de la bête nous pétrifient. Les gens se lèvent, reculent, se rentrent dedans, se marchent dessus. La mère et la petite fille trébuchent. Je leurs tends la main pour les rattraper. Je sens qu'elles m'agrippent. Je tire de toutes mes forces. Elles me lâchent à nouveau. Et merde, et merde, et merde. Je replonge ma canne à pêche et je retrouve la main de la mère. Elles remontent d'un coup sur le repose valise avec moi. La bête au-dessus élargie le plafond à coup de griffes noires et graisseuses. L'obscurité sur les visages des gens ne m'empêchent pas de voir la peur qui grouillent dans leurs yeux. Un hurlement d'effroi s'élève. Et deux yeux lumineux apparaissent. Puis un museau, une gueule immense et des dents crochues. La bête me regarde. Des smileys jaunes apparaissent dans ses pupilles et une musique de polka résonne dans mes oreilles " Hum, des sardines à l'huile.......".

Oh putain !

J'ouvre les yeux.

Je regarde autour de moi.

Tout va bien. Il y a de la lumière. Les gens sont serrés. Les gens sont assis. Le train roule. Pas de monstre. Pas d'obscurité. Ni de vent froid. Encore mon imagination qui me joue des tours. Je me suis fait bien avoir. Je respire un bon coup. Je laisse glisser mon coude. Il tombe alors sur la tête d'un mec assis plus bas. Le pauvre type tourne sa tronche vers moi. Il a une calvitie et les mêmes lunettes que Didier Bourdon dans le sketch des Inconnus où il sort cette magnifique réplique : " Ingrid, est-ce que tu baises ? ". Le type ne dit rien mais j'ai compris que je le dérangeais. Et c'est là que la scène culte survient. Ma super mamie nova qui lisait son torchon sur 45° Ouest, referme le dit morceau de papier toilette et me regarde à nouveau. Je détourne le regard. Mais je reviens discrètement sur elle. Et v'là-t-y pas qu'elle sort tu sais pas quoi de son sac ? Un paquet de sucettes ! Vous savez, les sucettes qu'on peut acheter avant d'arriver en caisse, au Supru, le genre de trucs qu'on achète aux gamins pour qu'ils la ferment ? Et bin la mamie nova, elle sort un putain de paquet de sucettes de son sac. Alors là je me dis, ça y est, c'est bon, elle va faire la distribution des sucettes à tout le monde, douce âme charitable qui est venu en ce monde réconforter les brebis égarées.... Mais penses-tu ! (Tu le penses vraiment ?). Elle sort Télé 7 jours et se met à lire ce nouveau torchon chiffon carpette en suçant une de ses sucettes. (Comme Cyril). Et alors là, c'est partit pour toutes les positions du kamasutra de la langue, et que même les amoureux dans leurs rêves les plus torrides, n'aurait jamais pu imaginer. Et vlan, vlan, et vas-y que je t'en remets un coup sur le gland, et paf, et repaf, la mamie nova fait la fête, que dis-je, le festival de la sucette. Elle la fait tourner et retourner entre ses doigts, elle racle les bords, elle sort sa langue, à la Gene Simmons, et elle te fait le rodéo de la sucette. En moins d'une dizaine de minutes, elle t'a torché l'affaire avec l'appétit d'une actrice porno. La sucette n'est plus. Mais, oh-jouissance-éternelle, il y a quelques miettes de son corps sucrés qui sont restés collés au superbe et feu-immaculé bord de son veston noir. Je crie alors " Victoire ! " dans les tréfonds de ma pensée. C'est ma revanche du ridicule sur le sérieux qui tue.

Bon, bref, vient maintenant l'épisode du contrôleur. C'est toujours rigolo ce passage-là. Le type sillonne le train, tel un acrobate du dimanche, essayant désespérément de traverser la mer humaine qui est venue s'échouer en ces lieux. Il me regarde soudain et me dit " Oh là, jeune homme, vous n'avez pas le droit de vous asseoir sur le porte-valise, ça peut être dangereux... Et puis regardez, vous faites du mal à ce pauvre monsieur, ça devient violent tout ça..." dit-il en regardant le sosie de Didier Bourdon juste en dessous de moi. J'aurais bien tenter une réponse du genre : " Nan mais attends gros merdeux, t'as vu la place qu'on a pour poser nos fesses ? Tu ne voudrais pas qu'on manque d'air ? Hein ? Contrairement à toi, qui n'en manque pas, et qui ose nous faire chier pour un repose valise de mes deux, alors qu'on nage dans la sueur depuis une heure, uniquement parce qu'à la SNCF vous n'êtes pas foutu de prévoir des trains plus grands lors des retours duvendredi soir ?!!!!! " Mais bon, ma timidité, ma compassion et ma connerie d'éducation polie me font barrière. Je descends donc du repose-valise pour faire plaisir au monsieur et je dis, et ça c'est pour de vrai : " Ouai, surtout que je suis quelqu'un de très violent...." Et là, des poils se mettent à pousser dans mon dos, mon nez s'allonge et mes canines prennent des airs de couteaux. Avec une main griffue, je prends la tête du contrôleur et je l'arrache d'un coup de dent. Du sang gicle partout. Sur Mamie nova, sur Didier Bourdon, sur le lecteur de Jean-Pierre Manchette, et... Nan. C'est encore mon imagination. Putain de foutre de merde quoi. Un peu plus et l'autre zigue d'en bas allait se mettre à pleurer aux bottes du contrôleur parce qu'un pauvre type comme moi osait laisser glisser malencontreusement son coude sur sa belle tête d'oeuf. "Oh, Monsieur le contrôleur, je me fais martyriser..." Le contrôleur s'en va finalement, après s'être engueulé avec un jeune skin qui n'avait pas composté son billet. Et c'est là que je remarque que j'étais assis sur un sac. Et pas un sac comme les autres. Oui, parce que les motifs militaires, c'est pas un truc comme les autres. La boulette. J'espère être passé inaperçu, mais un barbu se lève et se poste devant moi. Il me fait " Pardon " avec un air terrible et s'empare du dit sac. Il a vu. Il sait que son beau sac porte la chaleur de mes belles fesses sur lui. Mais il ne dit rien, me remercie avec un ton à vous abattre des conifères et s'en va. Ouf. Il s'en serait fallu peu pour que ça dégénère.

Enfin tranquille. Je prends un vrai siège et je mate le beau paysage nocturne qui défile devant moi. La voix de la madame nous annonce que nous allons arriver en gare de St-Dié. J'ai le temps de me rouler une clope, de voir Mamie Nova, bouche ouverte, faire de la spéléologie nasale, de proposer mon aide à un mec qui avait sa valise sur le porte-valise supérieur, et me voilà dehors. Mais mon périple ne s'arrête pas là. Il me reste encore 42 bornes à faire en stop. Sous la neige. Avec ma valise.

Arrivé à la gare de St-Dié-des-Vosges, j'ai l'impression de débarquer sur Pluton en pleine tempête de neige. (Ouai, je sais comment c'est Pluton sous une tempête de neige. Cherche pas lecteur, t'as tort.) Comme si le train s'était engouffré dans un portail spatio-temporelle pendant le voyage et qu'il nous avait tous débarqué sur cette planète inconnue. Je ne me démoralise pas pour un sou et je contemple la première neige de l'année. (Allez lecteur, contemple avec moi.) On la redécouvre chaque année cette première neige, hein, mais c'est toujours avec une joie magique et indicible. Comme quoi, la magie bas de gamme, ça fait toujours son petit effet. Je passe le tourniquet et j'avance dans le parking lugubre situé près de la gare. Je met mon I-pod en mode shuffle. Et d'une manière assez magique, il me fait un belle compile, en accord avec la situation. Promis juré, craché, éjaculé ! Vous allez voir ce que vous allez voir. (Merci capitaine évidence!).

Je m'arrête derrière un fourré, clope au bec, et je pisse un bon coup dans une belle couche de neige. Que c'est bon. Une voix résonne dans mes écouteurs... : " Un escalier de fer, un couloir étroit et obscur, au fond de ce couloir, une porte entrouverte d'où nous parviennent les accords d'une musique, qui en ce lieu, nous paraît irréelle..... C'est le côté obscur de la force... Le côté obscur de la force.... Le sombre monarque débarque et étale, son pouvoir, la puissance de l'ombre s'installe, non, ne résiste pas, ne lutte pas, ne te détourne pas, de la main tendue vers toi, ou je vais explorer, le royaume de tes peurs, en devenir le dictateur pour mieux te dominer... "

C'est repartit pour le voyage nocturne. Je croise même Mamie Vador sur le parking qui réveille sa Renaud de la Mort. Je marche et je traîne ma valise dans mon sillage. Tout le monde avance avec une tête de tortue coincée entre les épaules. Je bouge au rythme d'Iam. Je rigole tout seul dans ma barbiche quand Akhénaton lance : " Je balaie ces petits Ewoks comme le vent balaie les feuilles mortes..." Juste après, vient une belle chanson de Tom Waits : "God's Always on Bizness ", qui n'est pas sans rapport avec l'actualité du fameux groupe russoiste. Je trimballe ma carcasse en faisant les pas d'une danse venue d'un pays étrange que seuls les rêveurs et admirateurs de Waits ont déjà visité. C'est la foire. Je cours. Suit : " 60 Revolution " de Gogol Bordel. Je me dis que, ça y est, Ugo hante ma playlist. Et c'est sans compter la suite : " Fifteen feet of pure white snow", qui clôture en beauté cette magnifique et rude traversée de St-Dié, sous la neige cocaïnoïde. " Where's my nurse, i need some healing !!!! " La déambulation se finit au carrefour. On va voir maintenant si j'ai été sage. Si j'ai pas fait de travers, ni de pacte avec le diable, et si le Dieu du stop va être encore clément avec son pauvre looser préféré. Je tends le bras. Il fait froid. Y a, dans mes oreilles, du Alexandre Desplat. Une voiture s'arrête. Jackpot.

La valise dans le coffre, je m'installe, les doigts illico presto sur le ventilo brûlant. Le chauffeur est un mec au crâne rasé, genre videur-descendeur de boîte de nuit :

" Et bas mince, faire du stop par un temps pareil, faut être un peu fêlé sur les bords nan ? Bon, je te prends, parce que les vosgiens, c'est des bourrins, ils se seraient jamais arrêté, par contre je vais nulle part, mais dès que mon pote m'appelle, je te dépose, parce que je bosse là, et tu fais quoi toi sinon dans la vie, ah ouai, d'accord, putain faut faire gaffe dans ce virage, surtout quand y a de la neige hein, putain, attends, je réponds, ouai bruno, ouai, je suis en voiture, ok, d'accord, d'accord, bon, à tout'suite, bon je vais te déposer au rond point, ok, pas de problème, et demande une paire de gant pour Noël, parce que tu vas te les geler sinon, allez, bon courage...."

Je me poste à la sortie du rond-point. Une Peugeot bleue s'arrête. C'est un mec plutôt jeune, lunettes, cheveux blond très court. Il a une oreillette lumineuse dans l'oreille. On dirait un cyborg :

" De rien, un peu d'entraide, ça fait pas de mal, c'est pas les merco qui vont s'arrêter pour... Ah ouai, bin c'est cool, je pensais pas. J'ai aussi un costard derrière, mais là je suis en week-end, alors c'est sweet basket, enfin pépère quoi... " Le mec sort son tabac et se met à rouler une clope en tenant le volant. " Nan, c'est bon, j'y arrive tout seul, merci, bon, je vais te laisser là bas, au rond point, je vais à Gérardmer, bon courage et bonne route sous la neige..."

Je remercie le type et je vais me poster plus loin, près de la station essence. Je regarde tomber les flocons dans le noir noir de la nuit. C'est magnifique. Si j'avais eu ma Bat-Cap de neige à air comprimé, je serais partit valdinguer là-haut avec les armés blanches, les sorcières et les goules d'hivers, qui doivent fêter le retour de la Mort Blanche à grands coups de sniff et de Bouuuuuuuuuarrrrrrrgh. M'envoyer en l'air, la gueule ouverte, gronder avec le vent, décoller comme un feu d'artifice humain, les valises légères et la tête à l'envers. Je reste là un certain temps. A rêver. Une petite Renaud deux places s'arrêtent au bout du compte. Elle est recouverte de neige et il y a du givre sur sa vitre avant. C'est un bordel pas possible à l'intérieur. Le type, petit, barbe noire, cicatrice, tête de futé, basané, a l'air cool. J'embarque.

" Désolé, mais la poignée arrière est pété, je l'ai bousillé ce matin, tu vois, avec le froid, j'ai tiré et elle m'est resté entre les mains, oh, attention aux courses, voilà, c'est bon, t'as de la place, ok, c'est partit, t'as de la chance, je remonte justement des courses... Et tu vas où comme ça ? En Alsace ? Mais t'es fou, y aura personne pour passer le col du bonhomme, ah, tu crois, ouai bon, peut-être, tu sais, moi, le stop, j'en ai fait une seule fois, j'habitais encore à Fraize, j'y habite toujours, et j'étais en perm, ouai j'ai fait le service militaire, et je suis repartit pour Strasbourg, putain je te raconte pas la misère, j'ai galéré ma race quoi, je le referai plus, ah ouai putain, bon, je vais te déposer à Plainfaing, parce qu'avec le froid, et en plus t'as pas de gants putain mec, bon, allez, à la prochaine hein ! "

Je lui serre la main et il s'en va avec sa petite Renaud qui patine. Je marche sur le trottoir. Je fais le chasse neige tout le long. C'est horriblement chiant. Des bagnoles arrivent. Je lève un bras. Une caravane suit. J'essaie quand même. Cela m'avait réussit la dernière fois. Le mec me sourie et continue sa route. Et merde. J'attends qu'il y ait un peu de calme dans le trafic, je me mets sur la route, et je cours, je cours, histoire de rejoindre rapidos le bout du village. Je me réchauffe en même temps. Je regarde en arrière. Je continue de courir. Je regarde encore. On se croirait en plein film d'horreur. Avec les lampadaires jaunâtres qui font apparaître les voiles cotonneux de la neige qui tombe. Les ombres tordues qui grouillent dans les aspérités. Un char à voile descend du ciel. A son bord, le capitaine pirate-squelette, accompagné de son mousse-poisson. Il me tends la main avec un sourire édenté : " Viens avec nous là-haut, y a du rhum et des filles... " Merde, des bagnoles arrivent. Je remercie le capitaine squelette et je me range. Je lève le pousse. Oh putain jackpot, pute, sturb, jouissance, bellissima, magnifico, Burton, Jarmusch, Beethoven, Mignola ! Une bagnole s'arrête. J'avais les doigts de pieds qui commençait à freezer. Je mets la valise dans le coffre et je m'installe. Le mec est caché dans l'ombre. Il a l'air sérieux et sympathique dans sa veste noir. L'intérieur est calme, tout calme. Je vois le char à voiles du capitaine qui s'envole au loin. Je lui fais un petit coucou. Je reviens sur mon sauveur. Les couleurs orangées du tableau de bord se reflètent sur son visage.

" Je vous ai vu et je me suis arrêté, je ne pouvais pas vous laisser comme ça, sous la neige, vous allez où ? Ok, bin, vous me direz lorsque je devrai m'arrêter, qu'est-ce que vous faites, vous venez de Nancy ? Hum d'accord, moi je rentre de Paris vous voyez, oh toute l'après midi, je vais voir ma mère, oui, elle est hospitalisé à Kayserberg, alors bon, c'est important pour moi, et je retourne en région parisienne dimanche, mais dites-moi, je me pose une question, pourquoi vous faites du stop ? Ah, voilà, hum, oui d'accord, et vous n'avez pas le permis, ah, la fainéantise, oui bien sûr, hum, c'est vrai, et puis de nos jours, on ne va pas aussi facilement vers les gens, c'est un monde un peu froid, où tout est bien rangé, où les rencontres sont calculées, oui, et le fait de faire du stop vous fait rencontrer d'autres personnes oui, des gens que vous n'auriez jamais rencontrer autrement, c'est un peu une façon de s'ouvrir, en effet, bien, ça va vous avez bien chaud ? Bon, je crois qu'on arrive, dîtes-moi où, d'accord, bien, alors bonne continuation, au revoir ! "

Voilà. Comme vous avez pu le constater, je n'ai pas eu de problème. J'en ai jamais eu d'ailleurs en stop. Tout le monde a toujours été sympa avec moi. Peut-être qu'un jour je me prendrais une tuile, mais bon, fuck. Mon père a remonté mon frère du judo et m'a pris en passant. Je ne sais pas pourquoi je vous ai raconté tout ça. Disons que ça m'amuse. Et puis sinon, démerdez-vous. Faites-en ce que vous voulez. N'oubliez pas que je poste ça librement et que si vous me piquez toutes ces merveilleuses idées, ça me ferait bien chier. Je demande juste un peu d'attention et de respect. Respect, quel gros mot... Bref. Tout ceci est inspiré de faits réels. Et comme disait Giscard : "Au refoir ! "

Antonio Fantski



(Qui se la pète avec un pseudo... :)

 

 

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Commentaires
K
Mec, il faut que tu passes ton permis avant de mourir au côté d'un pilote défoncé ou tout simplement de froid sur le bas-côté. Le permis ! Merde ! Le permis !!
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A
It's a pleasure Mister Pedro !!!
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P
J'ai bien rigolé !<br /> J'aime particulièrement la MIDF, mais bon c'est vrai qu'il n'y a pas d'empire state à Gotham...<br /> <br /> I'll be back
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A
Waouw... Merci à vous trois. Chacun de vos commentaires est un grand prix littéraire à lui tout seul !<br /> <br /> Elise : Héhé, 1m20 les bras levés, c'est toujours le cas, non ? <br /> <br /> J'ai fini Billy Brouillard en deux soirs. C'est vraiment le genre de livre que j'aimerais créés : Des poèmes louches, des dessins tordues et de la neige qui tombe dans une chambre d'enfant.<br /> <br /> The Hobbit : Hey, ça fait plaisir d'avoir un point de vue parisien par ici. Un pote m'avait parlé d'un reportage sur les deux centimètres de poudreuses qui avaient bloqué toute la circulation parisienne. A côté, comme tu dis, Godzilla pourrait faire du ski sur le périph, ça serait moins grave. On peut vite perdre le contrôle... <br /> <br /> Sarah : Raaaaaaaah Sarah. Comme tu es forte quand tu déconne... Un peu de bibine, un peu de tabac et 3 cookies, et tes phrases se transforment en piste de décollage enneigées!<br /> <br /> P.S. C'est quoi un CDI, un costume yahoï ?
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B
... vous êtes comme les yaourts natures de ma femme. De la merde qui côute la peau du cul..."<br /> Merci les films de merde à trois heures du matin.<br /> Du coup voila.<br /> On parlait de quoi?<br /> ...<br /> Nom d'une pipe, je ne suis tout de même pas en train d'écrire un commentaire juste pour en écrire un... Ah!<br /> Je sais!<br /> Ta nouvelle!<br /> Excellente.<br /> Drôle, poilante, barrée, tordante, effrayante, sciante, étouffante, mordante, savante, reluctant (et merde, ça c'est de l'anglais), enfin bref, je peux te sortir des tas d'adjectifs, mais de toute évidence, une bonne dose d'humour qui est ta meilleure arme, Toinou, et une sacrée rafale de vitriol pour nous tous qui t'entouront... ^^<br /> Brefouille, j'ai aimé. J'étais bourrée, et je me suis bien bidonnée, je peux te le dire.<br /> Le commentaire, par contre, il est plus ou moins rétoactif. procrastiné. rétrospectif.<br /> Tu me comprends.<br /> ca doit être pour ca que j'ai pas cherché à capter les ficelles avec lesquelles tu tires toute ton histoire. Figures de style et procédés littéraires en tout genre, blablabla.<br /> Arf.<br /> Ca sera pour la prochaine fois<br /> Bon, toinou, porte toi bien, fais pas trop de bêtises, arrête la drogue si tu en prends régulièrement, et essayes de convaincre ugo de se travestir en CDI.<br /> Pif paf pouf.<br /> Bisouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuux :)
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