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Un regard sur la route
6 mai 2014

Pré-en-bulles : Forcément, la critique d'un film

Pré-en-bulles :

Forcément, la critique d'un film nous amène à réfléchir sur la proposition qu'un cinéaste nous offre.

Pendant la projection, nous, spectateurs, sommes installés devant le résultat d'une alchimie compliquée, tordue, avec tout d'abord une histoire, l'écriture d'un scénario, la germination d'une production, le champ de bataille d'un tournage, la création d'une musique, un montage, une diffusion, tout un assemblage de tuyaux, d'alambics, de cheminées, de conduits et d'engrenages, de baromètre et d'anémomètre, de sifflements et de cris, qui laissent poindre une simple et une unique goutte: le film.

Les fesses posées dans un siège, nous embarquerons pour un voyage sur-place, la goutte d'élixir dans la bouche. Parler d'un film sera donc la narration de ce voyage. « C'était bien » pourra résumer le voyage. Si vous partez de la Place Carnot et que vous allez à Malzéville, vous pouvez aussi dire: « C'était bien ». Mais le voyage à bord d'un film est souvent plus que ça.

Pour faciliter le schmilblick, on dit que ce voyage est la vision d'un cinéaste, mais si on s'agite un peu les neurones, on comprend vite que l'expression « vision d'un réalisateur » est un raccourci. On devrait dire que ce film est la « vision d'un ensemble de personnes qui se sont reliées autour de la création d'une œuvre. »

Bref. Parlons du film.

ONLY LOVERS LEFT ALIVE

de Jim Jarmusch

 

Après nous avoir proposé un film concept sans scénario pré-écrit : « The Limits Of Controls » -qui portait si bien son nom-, Jim Jarmusch revient avec une œuvre moins hermétique: « Only Lovers Left Alive ». Aux croisements du poème, de la chanson et du récit de voyage, porté à l'écran par de grands acteurs tels que Tilda Swinton, Tom Hiddelston ou John Hurt, le film raconte l'histoire d'un couple de vampires, vieux de plusieurs siècles, qui vit l'un à Détroit et l'autre à Tanger. Ces deux villes - fantôme pour l'une, bouillon de cultures pour l'autre- sont toutes les deux les héroïnes d'arrière-plan de ce film, illustrant ce nomadisme cher à Jarmusch.

Comme à son habitude, le cinéaste aux cheveux blancs prends le contre-pied d'une narration trépidante et préfère s'attarder sur le temps, sa lente volupté, son infusion. Il ne raconte rien de moins qu'une romance éthéré, qu'une ballade nocturne où le bruit du monde semble se faire si lointain qu'il en devient inexistant.

Ici, les vampires ne sont pas des vecteurs d'actions. Ils portent des gants de cuire, des Ray-Ban, sont cultivés, mais ne boivent qu'un sang transfusé. Ils ne suivent pas les clichés habituels du chasseur assoiffé: gousses d'ail, crucifix, torse pailleté... L'accent est mis sur leurs conditions d'immortels.

Vivant dans les couleurs du temps, ils ont ainsi côtoyé les plus illustres ( Adam aurait écrit une pièce de musique pour Schubert...) et portent en eux des milliers de souvenirs et d'expériences. Figure de l'absolue mélancolie, ils bravent la mort d'un sourire froid, mais, revers de la médaille, voient disparaître tous les humains qu'ils ont croisé.

S’ennuyant ainsi dans sa tour d'ivoire, Adam, entouré de ses instruments de musique et des clichés de ses amis disparus, scrute avec passivité le monde, la dés-industrialisation, la mondialisation, le sur-endettement. Cette vision désabusée n'est pas forcément partagée, car sa compagne, Eve, espiègle et curieuse, utilise la vision-conférence et suce des bâtonnets de sang gelés, en femme moderne et connectée. Malgré ces oppositions, le couple se réunit, comme si le monde allait s'effondrer, et se laisse porter dans les ruelles de Tanger ou dans les rues désertes de Détroit, au ralenti, allegro, et s'aiment, tout simplement.

Dans ce film, chaque ingrédient s'entremêle à merveille avec les autres. La musique, stridente, larcenée, noctambule, suit les déambulations des vampires avec tendresse et violence. Les acteurs sont incroyables de justesse et la séquence de la chanteuse dans la ruelle de Tanger, tombe à pique. C'est le corps et la voix du possible renouveau, l'énergie brute qui contrera la décadence.

Vision barock-and-roll, Jarmusch semble nous dire dans ce dernier film : « Je suis un papy esthète, ce monde part en cacahouète, j'en ai trop vu derrière mes Ray-Ban, alors je préfère écouter ma musique, lire mes poètes et laisser la jeunesse reprendre les rennes... »

Mais malgré le côté vieux cons de ce discours, il nous laisse tout de même une ode aux amoureux qui, dans la parenthèse des corps, laissent des foyers de chaleur que personne ne peut arracher. Ce film testament, fétichiste et amoureux, est un relai, offert à nous, jeunes louveteaux et louvettes au sang neuf.

Seuls les amoureux partent vivant de ce monde, car ils portent en eux l'histoire féconde d'un commun accord somptueux.

 

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P.S. Touts les films de Jim Jarmusch fonctionnent comme des chansons, avec des strophes et des refrains. Le refrain de « The Limits of Control » est une rencontre que le personnage d'Isaac de Bankolé fait au moins six fois : «No hablé espagnol, verdad ?». Celui de « Dead Man » pourrait être la question de Johnny Depp : « Avez-vous du tabac ? » et les riffs de Neil Young. Pareil pour le « Ghost Dog » et sa litanie de samouraï-noir, ou pour « Stranger Than Paradise », la chanson de Screaming Jay Hawkins : « I Put a Spell On You ». Le refrain d « Only Lovers left Alive » se caractérise par les mouvements sirupeux du vinyle qui se fondent avec les corps des amoureux. Et par ces doses de sang orgasmiques que les personnages prennent, comme un shoot d'héroïne.

« Life is about surviving things, appreciating nature, nurturing kindness & friendship, and dancing. »

 

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