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Un regard sur la route
14 octobre 2013

Racines La brume s'étale comme une chevelure

Racines

 

La brume s'étale comme une chevelure grise et soyeuse sur les cimes froides.

Elle a le rythme lent d'un adagio, une onctuosité de laine et une facilité de mouvement qui m'abandonne, enfin. En haut du chemin, la mousse a tricoté de longues tonsures vertes sur les crânes de granit. Elle est gorgée d'eau en bonne ivrogne goguenarde qui se respecte.

Après l'arc des hêtres, sur la butte légère qui, hop !, me fait passer de l'autre côté, l'haleine fraîche du vent sur la gueule, je pose mes pieds sur le chemin caillou-sable, qui coule et crisse en gardant une moulure de ma semelle.

La lumière jaune beurre que dilue le soleil se dépose sur l'échine du pré, dans mon dos. Elle décalque les ovales des feuilles de bouleaux sur le sol et alterne les ombres et les éblouissements, à ma plus grande joie. La montagne qui ressemble à un volcan éteint se fait avaler par un serpent décharné et brumeux. Et je passe en caressant quelques instants la chaumière silencieuse, en lisière.

Les herbes grasses et ordonnées qui lèvent leurs tiges accueillent silencieusement mes pas, et, sans regarder vraiment, il me semble être à deux centimètres au-dessus du sol.

Le lacet du sentier m'amène entre les troncs de pins écaillés et le houx luisant. Des lobes d'oreilles caoutchouteuses de cèpes sortent d'un bord de talus. Une souche traîne un œil de monstre antédiluvien sur ma poire. Dans la grimpette, je sculpte des traces sur le passage d'un grumier remueur d'humus. Là-haut, ouai, le doigt droit d'un sapin ausculte l'ondée intouchable du ciel. Et une goutte tombe sur mon nez rouge.

Après le coude et le ventre d'eau stagnante, plein d'aiguilles et de feuilles tombées, la jonction avec la route laisse transpasser des lames de lumières. Je me dis que l'or véritable ne se trouve pas dans les coffres-forts, mais dans ces rayons.

Ulysse le chien rigole, la langue de travers, ses pattes dans la forêt d'herbes mouillées.

Un oiseau pique l'air et décolle d'une diagonale de sabre pour filer.

Je me laisse dandiner dans la descente de la route. Les couches de cendres qui tapissaient ma caboche d’en-claquemuré se diluent lentement, la pression de cocotte-minute-papillon jaillit par les écoutilles.

Une vache dans le pré lâche un jet de pisse opaque, la queue relevée, les jambes arquées. La flot percute le sol et une maxi-danse de fumerolles s'enroule, épaisse et chaude, dans l'air froid.

La reconnexion avec les éléments : la lumière, l'air frais, l'eau, les racines, l'écorce, le picotement et les gouttes, fait partit des bienfaits du retour au bercail natal. Je me demande si ça vous l'fait aussi, vous. Si vous avez aussi un havre d'après-guerre, hors de la ville, qui vous ragaillardit la cage et vous dilate les narines pour mieux engouler l'air...

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