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Un regard sur la route
7 juillet 2011

" Un passeport pour l'avenir, s'il vous plaît ! "

" Un passeport pour l'avenir, s'il vous plaît ! "

Hachimette – St-Dié

 

 

Ma mère me largue au rond-point d'Hachimette. Des gendarmes passent devant moi. Je les imagine déjà faire demi-tour, s'arrêter devant ma pomme et me dire d'un ton catégorique, à la Jean-Pierre Vidol : «  A for priori, vous ne devez pas encombrer la voie publique de votre présence sine qua non... Comme ce l'est effectivement écrit dans l'article N° 25 de la convention de Ménilmontant.... »

Mais heureusement, ils ne reviennent pas sur leurs pas, et il me laisse tranquillos pépère, ma zigounette et moi. Une bagnole s'arrête soudain. Je me rue vers elle, ma valise telle une charrette brinquebalante derrière l'étalon que je suis. Une première voiture, aussi vite, c'est un bon départ...

Le type ouvre la fenêtre. C'est un jeune cool à lunette qui porte un tee-shirt Superman. Je me dis que c'est la providence qui vient toquer chez moi, déguisé en Père-noël de l'Espace : «  Hey mec ! Dorénavant, ce sont les super héros qui viendront te prendre en stop...» Cool. Mais ça, c'est dans ma tête. La réalité est légèrement différente. Ecoutez plutôt :

«  Ah non, désolé, je monte au-dessus de Lapoutroie, à 2 bornes de là.. », qui m'dit.

Déconfiture.

«  Ah merde... Bon bin merci quand même...»

«  Ouai, salut. »

Y en a qui ne mérite pas leur tee-shirt Superman, putain... Il faudrait obliger les gens qui veulent acheter ce genre de tee-shirt à ramener une liste de super bonne action pour pouvoir s'le payer. La prochaine fois, achète un tee-shirt Casimir, pignouffe, ça sera plus rigolo.

«  Oui, mais lui au moins, il s'est arrêté pour toi, espèce de petit merdeux... »

Je me retourne.

Et v'la t'y pas que Mamzelle Conscience, alias Giminette Criky en personne, se pointe de derrière les fourrés : Robe noire, lunette stricte et décolleté affriolant... ( C'est une conscience qui fait parfois office de fantasme...) Elle me regarde avec des yeux sévères de Madame et je lui rétorque :

«  Oui, mais bon quand tu ne vas pas loin... Tu ne t'arrêtes pas pour donner de faux espoirs aux auto-stoppeurs… Parce que là franchement... »

«  C'est par gentillesse et par charité qu'il s'est arrêté ! Quel ingrat ! »

«  Mais bobone... »

«  TAIS TOI.... »

Bon. Bref. Elle a gagné. Pardon Casimir.

«  Pardon qui ? »

«  Euh, Superman, je voulais dire... »

Elle est repartie avec ses gros sabots et me revoilà sur le bord de la route, à la même place que la dernière fois. (La dernière fois, c'était avec mon brother quand on est allé à Paris, avec Buck pour aller voir Izia à Verdun, et puis aussi pour mon trip Alexander McCandless Supertramp jusqu'en Angleterre. C'était monstrueusement chouette. Je vous raconterais tous ça un jour....)

Les types passent et repassent ( du linge ). Je cuis sous le soleil pétant, tel un steak de chez Quick. Ma chemise fait office de pain de mie. Ma sueur, de mayonnaise.

Une coccinelle se pose sur mon avant bras et se met à m'escalader. Je regarde ses petites mandibules marmonner lors de son ascension. C'est drôle. Ses ailes décapotables frémissent. Je la laisse faire. J'aime bien ces p'tites bestioles.

Parfois, certaines personnes me font des gestes bizarres dans leurs voitures. Genre l'autre, il me regarde, me fait un signe du doigt vers l'avant, puis il m'envoie un twist de l'épaule et un tango des sourcils. Putain. Mais je comprends rien à ton charabia ! Tu me prends pour un teubé ou quoi ! Je ne suis pas capable de comprendre le langage des signes moi. Et puis ça se trouve, ça veut rien dire tes signes pour les sourds : «  Je vends des capotes goût aisselles de vaches... » ( C'est pour les fans d'axilisme ça... )

Y en a d'autres, je les vois qui essaie de me parler, dès qu'ils m'aperçoivent. Ils ont encore oublié qu'il y avait une vitre entre eux et moi... Ah, reflexes stupides, quand tu nous tiens... Ils pensaient encore que j'allais leur répondre gentillement  : «  Oh comme c'est dommage, ma chère madame...». Bon. Passons. Allez. On y crois, on y crois. On est chaud comme la braise... Ah ouai, ça c'est bon. Il me faut une psychologie de winner pour aujourd'hui. Allez. Je suis le Chuk Norris de l'auto-stop. Je suis Keith Richard jouant Paint It Black devant 100 000 personnes, je suis Ghandi devant l'armée anglaise, je suis le Castor qui accueille les gens au Canada, je suis Zidane au tir au but en demi finale de l'Euro 2000 contre le Portugal. Il est 17H30. Le dernier train en partance pour Nancy est à 19H44. Facile...

Un 4X4 s'arrête. Oh yeah. Je me rue en avant, la carriole rouge de ma valise derrière l'étalon que je suis.... ( Je ne l'ai pas déjà sortie celle-là ?).

Le mec est en chemise verte-jaune. Lunette pépère et allure décontracte.

«  Je vais jusqu'au Bonhomme... D'accord ... Oh, à Kayserberg, ça va, mais à Colmar, c'est la fournaise... Hum... Je m'y connais en cinéma... Ma fille est en montage depuis 4 ans à l'INSASS... Et ouai... Ah vous la connaissez... Oui, elle a fait du judo... Ah oui , Romain et elle, se connaissent bien... Dans le monde du cinéma, il faut s'entraider, ça c'est sûr... Oh oui, elle pourra je pense... Elle a un site je crois... Voilà, je vous arrête là... Désoler de ne pas aller plus loin... Au cas où, allez boire un coup à la Schlitte... Antoine Delahaye ? Comme les voitures ? Ahahaha...»

Il m'indique de la tête la petite terrasse en bois où des parasols Miko se dressent piteusement. Je le remercie et je me repositionne dans les starting-blocks.

Le soleil tape encore plus fort ici. J'ai les jambes qui flagellent. Je me roule une clope. Des camions me ronfle à la gueule comme des hippopotames. Et encore, c'est méchant pour les briquets... Euh, pour les zippos...

Je me prends quarante vents. Des vrais comme des faux. C'est la débandade.

Deux types du crus me dépassent sur le trottoir : chemises de bûcherons, front tannés comme du cuir de djembé et sourcils broussailleux d'Ent millénaires. Pas de pitié. Pas de tendresse. Je continue mon cirque. Je regarde derrière moi, si les voitures s'arrêtent. Je commence à désespérer. Je commence un speach dans ma tête pour demander à ma mère de venir me chercher : «  Ouai, maman, je suis au Bonhomme … Ouai, mais ça doit être la chaleur ou les astres, chépa, j'ai dû me lever du pied gauche ce matin. J'aurais dû manger cette part de tarte avec mes voisins, j'aurais dû aller boire cette bière avec cette fille dont je ne me rappelle plus le nom, qui est allé sur la tombe d'Arthur... »

«  Bonjour... » dit une voix.

Je me retourne. Une fille blonde m'esquive sur le trottoir. Elle porte un chemisier rose pâle. Elle me lâche un beau sourire. Et un regard timide. Puis elle se dirige vers un distributeur de billet Laposte. Je reluque la sculpture et j'approuve. Petit déhanché sympatos... En rythme et tout et tout. Salut, salut. Je lève le pousse.

Sa besogne finie, elle repasse près de moi. Elle regarde son portable pour ne pas me regarder dans les yeux. C'est fou comme les gens ont peur de regarder les autres dans les yeux. Vas-y, je vais pas te bouffer toute crute ! Je sais que c'est difficile de regarder les gens dans les yeux sans s'arrêter, sans dévier le regard, mais bon... Raaah... Si j'avais pu avoir un don quelconque, cela aurait été celui de pouvoir regarder les gens sans détourner le regard. Pouvoir leurs dire : «  Je te reconnais. ». Pouvoir leurs dire : «  Je te déteste ». Pouvoir leur dire : «  Je veux faire l'amour avec toi. » Le tout en un seul coup d'oeil. Enfin bref. M'en fout. Elle avait un nez bizarre.

Toujours rien du côté des voitures. C'est la morte saison. Que des couples peureux et des camions de 820 tonnes. Un type me regarde à la terrasse. Il a dû parier avec un pote que je ne sortirais pas du bled avant trois plombes. Comme j'aimerais tellement m'enquiller une petite bibine sur la terrasse... Et attendre LA voiture qui me prendra, comme si je la voyais dans le futur, à plusieurs kilomètres de là... Je descendrais alors les marches de la terrasse au bon moment. J'aurais juste à tendre le pousse et à croiser le regard du seul type au monde à pouvoir modifier la ligne continue de son destin pour ma pomme... Bref.

Une petite fille blonde passe devant moi, avec la gamme chromatique Rose PQ sur toutes ses fringues. Polo. Haut. Sucette. Elle me fait un «  BONJOUR » bien franc en me regardant. C'est rafraîchissant.

Je regarde par terre.

Je regarde les pavés de granit qui servent de trottoir.

Je me demande combien il y en a sur cette voie.

Je me demande quel est le nom du type qui a posé cette pierre, celle qui est juste là, sous mes pieds. A quel heure il l'a posé.

Est-ce qu'il en a chié.

A quoi il pensait quand il l'a posé.

Est-ce qu'il se doutait qu'un jour, un branleur dans mon genre attendrait là.

J'imagine d'un coup le mec sur une photo couleur sépia, tel un aventurier, le pied posé sur une carcasse de lion, souriant avec son casque de chantier et son baudrier phosphorescent : «  Eric Mouloud Habibi, 13 Septembre 2009, 13H30, 21ème pavé... ».

Je prends mes cliques et mes claques et j'avance de 4 mètres. Pour faire genre. Pour me dire que j'aurais plus de chance là-bas.

Une grande file de voitures s'amènent. L'une d'elle se déporte et met son clignotant. Je tourne les yeux. Et la bagnole tourne à droite, sans s'arrêter. Le type me fait un non de la tête. Putain.

J'aimerais être ailleurs.

J'aimerais avoir les pieds dans le sable. Etre en haut de la Dune du Pyla, être au cœur d'une forêt, avec des tâches de soleil sur la gueule, des pierres moussues et des fougères partout autour de moi, entendre le pépiement des oiseaux, et voyager sur un nuage.

Une voiture s'arrête pour de bon. Oh putain de Yes ! Je cours. Je crie «  Joie, Victoire, Boobs, Carmen Electra, Gif , Jack Slatter ! ».

Le type va jusqu'à Fraize. Je met ma valise derrière et je m'installe dans sa petite voiture, un peu serrée mais si accueillante en cette heure de total loose. Le mec a des lunettes de soleil et des cheveux blancs.

«  Ah, pas de problème... Je prends toujours les auto-stoppeurs... Oh non, c'est juste que l'époque est différente... Aujourd'hui, avec toutes les horreurs qu'on entends à la radio, les gens ont peur. C'est con, mais c'est comme ça... Ah ouai, à Colmar, c'est intenable. Mais j'ai habité en Alsace pendant 8 ans. Je me souviens d'ailleurs d'un brouillard qu'a duré 2 semaines. A se tirer une balle.... Pouahhhh... Et puis, j'ai déménagé à Fraize. J'voulais venir ici, dans le Canton Vert, mais les baraques sont trop chers. Alors j'fais le trajet tout les jours. Faut prendre ça avec philosophie. J'ai d'jà essayé le stop quand j'étais à l'armé, mais je suis pas assez patient, ça m' fait vite chié. Enfin, je veux dire, je suis patient, hein, mais pas pour ça... J'me suis déjà retrouvé à 2 h du mat en bord de route, j'peux t'dire qu'tu t'en souviens... »

«  Ah oui, ça m'est aussi arrivé... »

« Héhé... Bref... Faut s'aider de nos jours, hein... A l'usine, j'ai des collègues qui m'disent : «  Ah moi, j'les prends pas les auto-stoppeurs... Zont qu'à passer le permis et s'acheter une bagnole comme tout le monde... »

«  Mais si j'avais le fric pour passer le permis et m'acheter une caisse, je ne serais pas là... »

«  Et ouai... Je sais... Faudrait que tu trouves un système de covoiturage, chépas. Quitte à s'que tu participes un peu... Nan, mais de nos jours, les gens n'pensent plus qu'à leurs gueules... Ils sont sur leurs sous. Ils sont dans leurs boîtes... Veulent pas se bouger... On a a beau dire : les français sont de plus en plus solidaire, les français sont de plus en plus solidaire... MON CUL ouai... Mais moi j'te le dit, ça va caguer un d'ces quatre... Peut-être pas la révolution et tout ça, mais ça va caguer... »

«  C'est clair que c'est pas la super période... » ( C'est à ce moment là, lecteur, que tu comprends que j'ai une répartie de fou.....)

«  A force d'envoyer tout en Chine, les mecs s'étonnent qu'il y ait plus d'boulot ici... Mais attends un peu que ça bouge... Là, il y a encore 8 à 9 personnes sur 10 qui ont du boulot... Mais tu peux être sûr que si ça descend à 5 ou 6, ça va caguer.... Ils tiendront pas.... Ils vont s'faire retourner comme des crêpes... Ah, ils me font bien marrer... C'est pas étonnant de voir les scores du front national qui explosent. Les extrêmes ressortent toujours en période de crise... C'est comme l'autre là, Hitler... Et bah il est aussi apparu en période de crise... Les gens en avaient marre. Ils voulaient bouffer. Le type leur a dit : «  Je vais vous donner du boulot » et il l'a fait... Bon... Ils ont construit des armes, c'est sale... Mais voilà... Tu vois le truc...»

«  Le monde n'a jamais été aussi riche... Mais il n'a jamais été aussi pauvre... » ( Référence : SAV. )

«  Tout à fait... Mais aujourd'hui, ce que les gars, dans leurs bureaux, ne captent pas - et ça, je le sais, parce que je bosse dans une usine, on forme des chinois - et bin c'est que tout le monde n'a pas le cerveau d'un ingénieur en agronomie... Y a des types qui veulent un boulot. Point barre. Et avoir une certaine dignité. Même si c'est pour faire des balais à chiottes... Enfin, ça me désole... Tout fout le camps... Je veux pas faire le nostalgique ou quoi, mais quand j'avais 15 ans et que j'habitais dans la banlieue de Nancy, c'était propre, y avait pas de problèmes, l'herbe était verte et il y avait des fleurs... Maintenant, tu vas en banlieue, c'est crâde, c'est tagué... Les mecs dealent. Y a des beurres, des blacks... Y a aussi des français qui dealent... Tu m'étonnes qu'ils touchent les allocs... Société d'assistés... Tu te poses sur ton canap' et tu reçois du fric... Nan mais attends... C'est à cause du modèle américain qu'on nous a vendu... Parce qu'on vit sur un modèle américain... Mais moi je peux te le dire, je suis allé au States... Et bin j'en veux pas de leur système... J'en veux pas. Si c'est pour rester devant la téloche, à regarder de la merde et à bouffer de la merde pour devenir obèse, NAN MERCI... »

«  Faut trouver une alternative... Gardez espoir. Un espoir minime certes, mais bon... »

«  Mouai... Bof... Tu vas me dire, les jeunes... Ouai... Mais les jeunes... Qu'est-ce qu'ils veulent les jeunes ? Hein ? Bah, moi je le vois c'qui veulent. Ce qu'ils veulent, c'est le dernier portable à la mode, avec les 36 milles applications qui vont avec... Nan, mais attends, c'est du délire... Moi, j'en ai rien à battre de leurs applications à la con.. Mon portable, je m'en sert jamais... Il est éteint d'ailleurs. ( Il me montre le vide poche du coude ) . J'ai un téléphone à la maison. Avec un répondeur. Point barre. Si j'suis pas là, y m'laissent un message. J'écoute mon répondeur 2 fois par jours... Voilà. Pas besoin de tout le reste... Les gens dépensent 4 fois plus aujourd'hui. Tu m'étonnes... Est-ce que c'est bien nécessaire tout ça, hein ? 18 mille applications ? Pourquoi faire ? T'en as vraiment besoin ? Et après, ils pleurnichent tous parce qu'ils se sentent seuls... Qu'il n'y plus de communication entre les humains... Société de l'incommunicabilité... Mais c'est normal DUCON... Moi, je préfère parler en face aux gens. Comme là, maintenant. Tu vois. Communiquer. Communiquer... Nianianiania.. Qu'est-ce que ça peut foutre... Dire quoi ? Hein ? Si tu veux parler, viens, viens en face... Ralalala.... Bon, je vais te déposer à l'arrêt de bus... »

«  Merci... »

«  Allez. Salut... »

Il m'a laissé comme ça. Sans rien dire de plus. J'ai marmonné un truc ou quelque chose, mais les quelques syllabes qui m'sont sortis du gosier ne valent pas la peine que je les mentionne. C'est toujours des fins bizarres avec ces mecs qui se livrent. Comme si j'avais le droit à un condensé de leurs vies en un chapitre. Un court roman pioché au hasard d'une étagère, roman qu'on m'arracherait des mains et qu'on balancerait par la fenêtre. Je regarde alors le mec faire demi-tour, comme si je regardais le livre tombé dans le vide, depuis ma fenêtre, les pages qui se mettent à batter de leurs ailes de pages avec le vent... ( Parenthèse mélancolique close.)

Je regarde autour de moi. Je suis à la sortie de Fraize. Une dame range sa voiture derrière moi. Elle a un chignon sportif de cheveux blond et un tee-shirt noir.

«  Excusez-moi madame, vous n'auriez pas l'heure ? »

«  Oh, pas sur moi.... » qu'elle me renvoie, les yeux écarquillés. «  Mais je peux allez voir... » qu'elle me dit, en indiquant sa maison.

« Ok. Et bien, je reste là... »

Elle rentre dans le garage de sa maison. J'attends. Le pousse levé. Au cas où. Si je suis parti quand elle revient, elle aura le droit d'me gueuler dessus... Mais personne ne me prends. Je commence à paniquer à bord.

«  Il est 19H... »

«  Merci beaucoup... »

Je recule un peu. Je me poste devant un jardin. Le ciel est tendre et frais là-haut. Les nuages forment de longues effilochures de laines, traînant au hasard. On dirait qu'elle flotte sur de l'eau bleue à l'envers. Un vent frais me coule dans la nuque. Putain. Il est 19H. Il faut que je me grouille. Des gamins jouent derrière moi, dans le jardin. Je reporte mon attention sur la route. Je tends le bras. Je salue les gens en faisant de grands gestes. Je leurs dit «  Bonjour » dans ma tête. Je souris comme un con.

«  ALSACIEN ! »

Je me retourne.

Un des gamins s'est rapproché de la clôture pour venir me lâcher sa soit-disante insulte. Sur le ton du «  PARISIEN » dans les Bronzés. Il s'enfuit, un sourire benêt au bec.

«  Et comment tu le sais ? » que j'lui renvoie.

Pas de réponse.

Et bah putain. Bonjour l'accueil. Y a encore des restes de vieilles rengaines dans l'air.

Je continue ma danse de l'auto-stoppeur dans la merde. Les gens rigolent dans leurs voitures. Me sourient. M'ignorent. Me lorgnent comme si j'étais descendu de la Lune pour envahir la Terre avec mes bras tentacules, mes lunettes aquatiques et mes cheveux algues grasses. Ahahaha.... Quel bande de moules.

Une espèce de coléoptère aux élytres vertes fluos se posent sur mon épaule. Je le regarde. Il tâte le terrain prudemment. Sa petite tête mordille le tissu de ma chemise. Il fait deux pas maladroit. Il a une couleur de fou. Genre tâche d'huile au soleil. Avec toutes les variations chromatiques imaginables. La lumière du soleil, jaune orangé, vient raser nos petites têtes.

D'autres voitures arrivent. Je leurs fais signe. Un coupé renaud s'arrête. Oh putain, je suis sauvé. Je lui cours après. C'est bon. Il va à St-Dié. Je fous ma valise dans le coffre. On the road again.

«  De rien... Ça fait longtemps que vous attendiez ?... Oh bah ça va... Ouai, Fraize, c'est un peu la zone, hein … Alsacien ? Il vous ont traité d'alsacien ?!!! Ahahaha... Fraize, tout est dit... Faut pas chercher. Ouai, je sais. Ils appellent les types d'Anould les gawars. Ouai, ouai, c'est ces petits poissons de vases avec des moustaches de chats qui ont une gueule immonde... Attends, j'ai un appel... Ouai... Ouai... Allo ? Salut Patrice. Ouai. Ça roule, ça roule... Je rentre du boulot... Ouai, sept heures et quart... Ouai..Vous avez prévus quelque chose pour l'anniv' de JP ? Ouai. Faut voir. Hum... Ok... Bin, je te tiens au jus... Ouai, je viendrais pour l'apéro... »

Je regarde le mec. Il a un long visage avec un nez aiguisé. Il porte un tee-shirt de sport. La clim marche à fond dans la voiture. J'imagine soudain le coléoptère sur ma chemise s'envolant au milieu de la caisse. J'imagine le type s'effrayer et partir dans le fossé... Mais la bestiole n'est pas sortie de sa cachette. Le mec prends un chemin à droite que je ne connais pas. Il s'arrête soudain. Le moteur allumé. Il attrappe quelque chose par terre. Et se tourne lentement vers moi, un tournevis et un cutter dans les mains: « Je vais te saigner comme un poulet mon pauvre ami ... J'ai pas mangé depuis 3 jours...»

«  Euh nan. Excusez moi... Vous pouvez rembobinez s'il vous plaît, il y a eu une saute dans le scénario... »

….pas sortie de sa cachette Le mec prends un chemin à droite que je ne connais pas. Je lui dit que je ne connais pas ce chemin.

«  Ah, c'est l'habitude. Désolé. Je prends tout le temps cette route pour rentrer du boulot. On aurait dût aller tout droit. Il est à quel heure ton train ? Oh, c'est bon, tu l'auras... »

J'envoie un sms à Max la Menace pour lui dire que j'arrive. J'ai plus de batterie. J'ai le temps d'envoyer un dernier sms. Ze sms de la Life. Le mec allume la radio. Le soleil est d'un blanc argileux. On se tape tout les feux rouges. Je stress. Je me malaxe les mains dans tout les sens. Tout droit. Gauche. Gauche. Parking. Stop. Ouverture de portes.

«  Je vous dois une fière chandelle ! Merci ! »

«  Salut ! Bon train. »

Je sors ma valise du coffre, je salue mon sauveur, je me rue dans la gare, je prends un billet, je le composte, il me reste 8 minutes, Max n'est pas encore là, putain, à trois poils de cul près, et je me retrouvais comme un con, sans train, sans batterie, je regarde l'horloge, je vois Max qui arrive dans sa caisse, je fuse, on discute un brin, tournage, clap, chronopost, pas chronopost, chèque, Muchas Amigos Pistache Ciao Ciao, je retourne dans la gare, je tire ma valise brinquebalante derrière l'étalon que je suis (?), je rentre dans le train, je pose mes valises, je respire un peu, je fais un check up, et alors là, les muscles tendus, je lève le poing et j'hurle un "PAMOS! » à la Raphael Nadal, jubilant d'y être arrivé, jubilant d'avoir vaincu les limites, d'avoir gravi l'Everest en tong, d'avoir assommé Vegeta avec une nouille, d'avoir posé mon cul sur la tête de Guéant, d'avoir pissé sur la Lune, d'avoir roulé un patin à Scarlette, d'avoir dansé sur du Lady Gaga avec Mère Théresa et Laurent Romejko, d'avoir sauté à poil dans la Meurthe, d'avoir pris le train avec Kerouac, Jarmusch et Rachel Weisz, d'avoir bu une bière avec Del Toro, Powell et Templesmith, d'avoir goûté la cyprine d'Aphrodite.

Putain. J'y suis arrivé. J'ouvre mon ordi. Et j'écris tout ça.

Bisoux.

 

 

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Commentaires
D
Que c'est généreux de ta part... S'il m'arrive des trucs chelous, oufs, fifous, guedins, ou maboules, je penserais à toi, et tes douces prières de pythie mystique malzévilloise...... :D
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E
A partir de maintenant, tous les soirs, je vais prier mains jointes, regards vers le ciel la grande Fortuna pour qu'il t'arrive les pires péripéties, les plus odieux hasards, les plus improbables concours de circonstances, j'y ajouterai quelques psychopathes, deux trois données sociologiques, et des pilonnes électriques qui te donneront un désir irrépressible de philosopher sur le sens profond de ton existence... tout ca pour te lire. Je pense au Happy-end promis!
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D
MERCI BEAUCOUP LA TRANS, LE PEDRO ET LE PONEY !<br /> <br /> P.S. SAINTE SCARLETTE, PARDONNE-MOI !
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L
rhaaaa ! :D le pied ! merci pour ça :)
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P
Et il y a une faute blasphème à Scarlette johansson !!!!!!!
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