TetroFrancis Ford CoppolaParler du dernier film
Tetro
Francis Ford Coppola
Parler du dernier film de Coppola revient forcément à mettre en rapport sa filmographie précédente (Apocalypse Now, Le Parrain ou encore Dracula). Car si Tetro suit la lignée du cinéaste, dans ses thèmes et ses figures, il se dégage par une certaine fraicheur, par une jeunesse, qui n'est pas sans rapport avec sa nouvelle autonomie économique et son divorce avec Hollywood, qu'il a amorcé depuis l'Homme sans Age.
En effet, Tetro a été auto-financé par Coppola avec sa société de production, American Zoetrope. Le cinéaste explique lui même qu'il s'est revu prendre la place de jeune étudiant en cinéma qu'il a d'abord été, avec sa soif et son intimité. D'où la nécessité d'être rapide et simple, de filmer ce qui doit l'être, sans épanchement ni retouche. Filmer les films qu'ils rêvaient de faire quand il avait la fleur de l'âge entre ses mains.
Il y a par conséquent une sagesse mature qui transpire de Tetro, une nécessité et une joie neuve, comme si l'homme avec ses années, sa bouteille, retrouvait le vin de la jeunesse, le vent de l'expérience allié au calme et au plaisir de la retraite.
Tetro est une histoire de famille. Encore une. Elle se déroule en Argentine, pays pluri-culturels, aux accents espagnols et aux charmes latins.
Benjamin, serveur dans un paquebot en escale, arrive par semi-hasard dans l'appartement de son frère misanthrope, Angelo, et tente pour le coup de renouer le lien avec lui, de découvrir ce qui se cache derrière ce fantôme qu'il a connu dans le passé. Mais Angelo is dead et il s'appelle Tetro maintenant. Partit il y a des années de cela en Argentine, pour écrire loin de la famille, loin de son père-ogre qui n'a pas encore été tué, métaphoriquement, Tetro connait une vie de bohème entre le théâtre où il travaille et sa femme Felicita. Le contact est rude entre le jeune Benjamin, et son frère grincheux. L'un aimerait connaitre l'autre, l'autre aimerait rester anonyme dans son rôle masqué. Heureusement, il y a autour d'eux une ribambelles de personnages, prêt à jouer les aiguilles à tricoter dans ce nœud de secrets, de non-dits, d'amour muet et de séquelles à cœur-ouvert, et le film raconte comment la pelote va se dérouler, comment la vie et son théâtre vont faire resurgir les souvenirs et la tragédie enterré.
Sublime et baroque, la photographie en noir et blanc rappellent ces clichés des Studios Harcourt, avec leur grâce mais aussi leur artificialité. La peinture de l'Argentine est vivifiante, certaines scènes ont quelque chose de fellinienne, les plans sont des tableaux en mouvement.
Les acteurs jouent avec force et honneur. Vincent Gallo en faune rongé, fumeur de cigarette, Alden Erenreich en matelot Di Caprien et Maribel Verdu, en belle dame au sang chaud.
Le film est un opéra: L'histoire, les envolées, les voix des chanteurs, la musique -avec sa noirceur et ses éclats-, les parenthèses oniriques et dansées, les personnages et les orchestres. Tout s'alchimise et se chante. En arrière fond, les ruelles argentines, les enfants qui jouent et crient, les terrasses en été, les papillons de nuit qui battent des ailes contre les ampoules électriques et proustiennes.
Coppola rend hommage à ses passions, à la littérature, avec Angelo, l'écrivain maudit, à l'opéra avec l'univers des Tetrocini, au théâtre avec Fausta, cette pièce bricolé et sexy, et puis au cinéma surtout, avec la femme horloge des Contes d'Hoffman. Coppola se cuisine un menu où tout ce qu'il aime est rassemblé, non pas dans un grand festin, mais plutôt dans un buffet pour des retrouvailles , une suite de plats qui se cassent et de verres qui se brisent, mais qui se transforme et qui serve la chaleur de la famille, ingrédient si cher au palais du cinéaste.
Les plans sur la Patagonie laisse libre cours à la rêverie. Les passages oniriques des danses rappellent L'Imaginarium d'un certain Parnassus. La scène du bain glissent sur les fantasmes. Car il s'agit aussi de la naissance d'un enfant, Benjamin, ange salvateur de toute cette histoire.
Le père hante tout le film. Comme si Coppola lui-même se racontait, Zeus lubrique, génie dans l'ombre de sa progéniture.
Tetro n'est pas LE grand film de Coppola, mais il marque un nouveau départ , tout en beauté, en lumière, en cristalisation. Il sent la jeunesse de l'homme sans age, la vigueur d'acteurs flamboyants et le bonheur de faire du cinéma.
L'année commence bien.